
Tous ceux qui ont couru un marathon (j’en suis) connaissent l’histoire : après la bataille de Marathon contre les Perses, en 490 avant notre ère, un soldat nommés Philippidès fit en courant la quarantaine de kilomètres qui séparent ce village d’Athènes pour annoncer la victoire et mourut d’épuisement après avoir délivré son message.
Le problème, c’est qu’à peu près tout dans cette phrase est faux (excepté la victoire des Athéniens, aidés par les troupes de Platée). Les seules sources que nous avons pour cette anecdote sont Plutarque (1er siècle après J.C.) et Lucien de Samosate (2e siècle après J.C.), soit 500 à 600 ans après les faits, ce qui ne rend pas leur témoignage très convaincant. Plutarque cite bien Héraclide du Pont, du 4e siècle avant J.C., mais il ne nous reste rien de cet auteur.
Le seul auteur crédible sur l’époque de Marathon est donc notre cher Hérodote, né quelques années après la bataille et qui a pu parler à des informateurs encore très proches des évènements, peut-être même ayant participé à la bataille (“Moi, monsieur, j’étais à Marathon !”) Ce que l’on peut dire, c’est que si l’histoire de Philippidès avait cours à cette époque, Hérodote, toujours friand d’anecdotes, ne l’aurait certainement pas laissé passer. En revanche, il raconte deux évènements distincts dont le mélange a probablement donné naissance à l’histoire que tout le monde croit connaître.
D’une part, avant de partir pour Marathon où les Perses ont débarqué, les Athéniens envoient un héraut, c’est-à-dire un messager, à Sparte pour demander de l’aide (6.105). Il se nomme Pheidippidès ou Philippidès, selon les manuscrits ; c’est un courrier professionnel, sans doute habitué à couvrir de longues distances (ἡμεροδρόμην τε καὶ τοῦτο μελετῶντα). La distance entre Athènes et Sparte varie, selon les estimations que j’ai pu trouver, entre 202 et 250 km et il arrive “le deuxième jour”. On ne sait ni à quelle heure il est parti, ni à laquelle il est arrivé : on peut penser qu’il a mis environ 24 heures. Autrement dit, il n’a pas fait un marathon, mais un ultra-marathon !
Il se trouve, justement, qu’aujourd’hui existe un ultra-marathon Athènes – Sparte, appelé le Spartathlon, qui fait 246 km. Le record est, comme par hasard, détenu par un Grec, Yannis Kouros, en 20 h 25 mn. Il est donc tout à fait vraisemblable qu’un messager professionnel comme Pheidippidès ait fait le trajet en un jour. Et, bien sûr, celui-ci me meurt pas après avoir transmis son message : il rentre à Athènes et raconte même que, dans la montagne, du côté de Tégée (en Arcadie), il a rencontré le dieu Pan qui s’est plaint ne n’être pas honoré par les Athéniens. Ils le crurent et, un peu plus tard, dédièrent à Pan un sanctuaire au pied de l’Acropole.

Les Spartiates sont tout à fait d’accord pour aider les Athéniens mais, pour des raisons religieuses, ils ne peuvent partir avant la pleine lune et on est seulement au neuvième jour de la nouvelle lune. On pourrait penser, cyniquement, que c’est un bon prétexte pour se défiler, si ce n’est qu’ils se mettent en route dès la pleine lune, au nombre de deux mille, et arrivent “le troisième jour”, c’est-à-dire qu’ils ont mis environ quarante-huit heures à faire le chemin, ce qui n’est pas si mal pour une troupe en arme : ils n’ont donc pas traîné. Ceci dit, ils arriveront trop tard…
Mais qu’en est-il du fameux marathon ? Hérodote raconte que, tout de suite après la bataille, les Perses s’étant précipitamment rembarqués sur leurs navires, s’élancent vers Athènes, doublant le cap Sounion, la pointe sud de l’Attique (ce qui fait un beau détour), espérant surprendre la ville avant que ses défenseurs ne soient de retour. Mais les Athéniens ont compris la manœuvre et se dépêchent de rentrer, par la route la plus directe, évidemment. Autrement dit, ce n’est pas un seul soldat qui a fait un “marathon”, mais l’ensemble de l’armée athénienne. On peut imaginer qu’ils ne l’ont pas fait en courant, d’une part parce qu’ils étaient en armes, avec cuirasse, bouclier, casque et lance (Pheidippidès, lui, étant un messager, était beaucoup plus léger), d’autre part, parce qu’ils sortaient d’un rude combat. Ceci dit, ils arrivèrent bien avant les Perses qui, se voyant devancés, firent demi-tour et rentrèrent en Asie. Il faudra attendre Xerxès, successeur de Darius, pour un nouveau round…

Il n’est pas étonnant que les Athéniens soient arrivés avant les Perses. Même s’ils étaient fatigués, on peut supposer que ces gens habitués à marcher et pressés par le danger, allaient à 6 ou 7 km/h, ce qui leur permettait de couvrir une distance de 42 km en 6 à 7 heures. En revanche, d’après ce que j’ai lu, il fallait 12 à 13 heures aux trières Perses pour arriver à Phalère, port d’Athènes à cette époque. Il n’y a donc pas “photo”.
En résumé, à l’occasion de la bataille de Marathon, il y a eu d’abord un ultra-marathon couru par un messager professionnel, puis un marathon couru (ou plutôt, marché) par tous les soldats athéniens.
Note 1 : le tableau qui illustre cette page est dû à Luc-Olivier Merson, un de ces peintres pompiers qui ont continué à fleurir pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Je ne suis sans doute pas le seul à le trouver ridicule. La seule chose positive que l’on puisse dire à propos de ce peintre et de ses confrères (comme Cabanel, Laurens, Bouguereau, Gérôme), c’est qu’aujourd’hui ils auraient été d’excellents illustrateurs de bandes dessinées. Leur malheur a été d’avoir un talent qui n’avait pas de champ d’application digne de leur science du dessin.