On a vu que l’homme, bien que soumis au destin, possède une certaine liberté qui affecte la manière dont celui-ci sera réalisé. Mais qu’en est-il des dieux ? Eux sont libres, non ?
En fait, pas vraiment. D’une part, ils sont soumis à une stricte hiérarchie divine, dominée par Zeus. Mais même pour ceux qui sont plus ou moins indépendants de celui-ci, comme Poséidon, il y a encore, une fois de plus, le destin (le destin, chez Homère, semble être quelque chose d’à la fois implacable et diffus : qui prend vraiment les décisions ?)
Ainsi, dans l’Odyssée, lorsqu’au chant IX le Cyclope aveuglé implore Poséidon, son père, de faire en sorte qu’Ulysse ne rentre jamais à Ithaque, il ajoute :
“Mais si c’est son destin [ἔ οἱ μοῖρ’ ἐστὶ] de revoir ceux qui lui sont chers et de revenir dans sa maison bien bâtie et dans sa terre natale, que ce soit tard et dans la douleur, ayant perdu tous ses compagnons, dans un navire qui n’est pas le sien, et qu’il trouve le malheur chez lui. (9.532-535)”
Poséidon a bien entendu cette prière, mais il sait aussi que c’est le destin d’Ulysse d’échapper à ses épreuves une fois qu’il aura atteint le pays des Phéaciens [ἔνθα οἱ αἶσα ἐκφυγέειν μέγα πεῖραρ ὀιζύος (5.288-289)]. C’est pourquoi, lorsque revenant du pays des Éthiopiens il découvre Ulysse sur son radeau, presqu’arrivé chez les Phéaciens, il déclenche une terrible tempête qui le coule, histoire de le retarder, à défaut de pouvoir l’anéantir. Et finalement, il l’abandonne à son triste sort : “erre sur la mer jusqu’à ce que tu arrives chez des hommes favorisés par Zeus : … ἀλόω κατὰ πόντον, / εὶς ὅ κεν ἀνθρώποισι διοτρεφέεσσι μιγήῃς (5.377-378).”
Ainsi, les dieux eux-mêmes ne sont pas libres de modifier le destin (du moins, celui des humains) : ils peuvent seulement entraver temporairement sa réalisation.
Mais qu’est vraiment cet inéluctable destin ? qui le décrète ? Zeus, les Moires, les “Fileuses” ? C’est une question qui n’est pas encore claire pour moi : il vaudra donc mieux la traiter séparément…