Il y a six mois, j’avais écrit un premier billet sur ce sujet passionnant, utilisant surtout mes lectures de Polybe. Depuis, je me suis mis à lire, entre autres, la Description de la Grèce de Pausanias. Ce guide touristique, qui nous décrit une Grèce antique encore intacte, date du deuxième siècle après J.-C., soit environ 300 ans après Polybe. Parmi ses nombreuses digressions, l’auteur trouve le moyen de nous parler des Gaulois et de leur incursion en Grèce vers 279 av. J.-C.
Il nous dit (1.4.1) que “ces Gaulois vivent aux confins de l’Europe, au bord d’une grande mer (οἱ δὲ Γαλάται οὗτοι νέμονται τῆς Εὐρώπης τὰ ἔσχατα ἐπὶ θαλάσσῃ πολλῇ)”. Aux confins de l’Europe… voilà qui nous rappelle le finis terrae des latins, mon Finistère. Cette fois-ci en effet, on pense bien aux Gaulois de France, ou même d’Armorique, d’autant plus qu’il évoque les grandes marées de l’Atlantique, avec leur flux et reflux (ἄμπωτις καὶ ῥαχία). Ceci dit, Hérodote, on l’a vu, dit déjà que les Celtes vivent “au-delà des Colonnes d’Hercule”, près des Kynètes, “qui des habitants de l’Europe, sont ceux qui vivent le plus loin vers le couchant (οἱ ἔσχατοι προς δυσμέων οἰκέουσι τῶν ἐν τῇ Εὐρώπῃ κατοικημένων)” : on retrouve le mot “ἔσχατος : extrême” dans les deux citations. On peut donc se demander si Pausanias n’est pas plutôt influencé par Hérodote, faisant la même erreur que lui et parlant d’un coin du Portugal. Pourtant, à l’époque de Pausanias, on en sait beaucoup plus sur la Gaule et l’Armorique, grâce à Strabon et, bien sûr, César. Mais les a-t-il lus ? On peut se le demander car, plus loin, on entre en pleine légende :
“Et le fleuve Éridanos coule à travers leur pays, au bord duquel, croit-on, les filles du Soleil se lamentent sur le sort de Phaéton, leur frère [mort pour avoir voulu conduire le char du soleil].”

Hérodote, au moins, faisait passer le Danube dans le pays des Celtes, ce qui est plus réaliste.
Aussi, lorsque Pausanias nous dit que ce sont ces Gaulois de l’extrême-occident qui ont tenté d’envahir la Grèce, on ne le croit pas une seconde : il paraît évident que ces sont des Celtes d’Europe Centrale, centre de leur civilisation, qui ont fait ces raids qui les ont presque amenés jusqu’à Delphes.
Au fond, alors que César et les Romains avaient ouvert la Gaule à la connaissance du monde gréco-romain, Pausanias semble en savoir encore moins qu’Hérodote, qui vivait 500 ans avant lui. D’un point de vue plus général, il est étonnant que la civilisation celte, bien développée, mais sans écriture, ait été si peu connue et discutée par les auteurs grecs, alors qu’Hérodote nous donne toutes sortes de détails, pas tous fantaisistes, sur les Scythes du nord de la Mer Noire.
Pausanias nous dit quand même une chose intéressante en relation avec la question que je me posais dans le texte précédent : “Celtes est le nom qu’eux-mêmes et les autres utilisaient dans le passé (Κελτοὶ γὰρ κατά τε σφᾶς τὸ ἀρχαῖον καὶ παρὰ τοῖς ἄλλοις ὠνομάζοντο)”, ce qui correspond bien à l’emploi de ce mot par Hérodote. Ainsi, Galates ne serait qu’une évolution de Keltoï, ou une variation dialectale. Le lien me paraît en effet direct entre les consonnes “k-l-t” de Keltoï et “g-l-t” de Galates (il me semble avoir déjà lu quelque chose à ce sujet, je ne sais plus où.) Ceci n’a rien d’étonnant si l’on considère l’aire d’expansion des Celtes. Il suffit de voir les variations de la langue bretonne sur un petit territoire, telles que je les entendais il y a soixante ans, lorsqu’elle était langue maternelle de la génération de mes parents.
Pour conclure ces deux articles, il semble bien qu’il ne faut pas trop se casser la tête : Keltoï et Galates (puis Galli en latin) dérivent de la même racine et ne sont que des variations temporelles ou dialectales interprétées par des oreilles grecques ou romaines, et ont à nouveau été déformés en passant dans les langues européennes d’aujourd’hui, donnant dans la nôtre Celtes et Gaulois.