Cap au large !

L’athmosphère du chant II de l’Odyssée est assez lourde : malgré les encouragements d’Athéna (sous les traits de Mentès) au chant I, Télémaque n’arrive pas à s’imposer parmi les Prétendants, ni même parmi le peuple d’Ithaque. On se moque même de lui (2.323-336). C’est sans doute pour cela que Mentès lui a recommandé de changer d’air en allant à Pylos et à Sparte, sous le prétexte de chercher à obtenir des nouvelles de son père (1.279-302).

C’est toujours Athéna, maintenant sous les traits de Mentor, qui l’aide à préparer son départ (trouver un bateau et un équipage). Enfin, le soir vient (2.388) :

δύσετό τ’ ἠέλιος σκιόωντό τε πᾶσαι ἀγυιαί.

(le soleil se couchait, l’obscurité envahissait toutes les rues.)

Je trouve ce vers très évocateur. Je suis `a peu près sûr de l’avoir déjà entendu sous la forme : “le soleil se couchait, déjà l’ombre envahissait les rues”, en voix “off”, sans doute dans un film de Godard, peut-être dans Pierrot le fou, peut-être dans Le Mépris (où, justement, Fritz Lang met en scène l’Odyssée) ; mais mes souvenirs sont très incertains et il est possible que je me trompe complètement… Si ce vers évoque quelque chose à quelqu’un, je suis intéressé !

La première chose à faire, est de tirer le navire à l’eau, action qui revient constamment à travers l’Odyssée, car les navires étaient toujours tirés à terre pour la nuit, peut-être pour éviter que le bois ne s’imprègne d’eau (c’est ce qui arrive aux navires athéniens qui font le siège de Syracuse, au cours de leur désastreuse expédition ; ils ne peuvent pas être tirés à terre et perdent peu à peu leurs qualités marines). Ici, c’est Athéna elle-même qui s’en charge (2.389) : “νῆα θοὴν ἅλαδ’ εἴρυσε (elle tire le vaisseau rapide à la mer)”. Les formules de ce type varient, la plus typique étant du genre : “νῆα μέλαιναν ἐρύσσομεν εἰς ἅλα δῖαν (tirons un noir vaisseau à la mer divine, 8.34)”.

Puis on charge les provisions (surtout du vin et de la farine d’orge, ἀλφίτον qui, à l’époque classique, continueront à former la base de la nourriture des marins), on redresse le mât de sapin, ἱστός εἰλάτινος (2.424), (il est toujours gardé en position horizontale lorsque le navire est au repos), on hisse la voile blanche, ἱστία λευκά (2.426) : tout est prêt !

Athéna, toujours elle, leur envoie un vent favorable :

ἀκραῆ ζέφυρον, κελάδοντ’ ἐπὶ οἴνοπα πόντον

(un vif zéphir qui retentit sur la mer de la couleur du vin, 2.421).

“De la couleur du vin” ? (chez Bérard, “la mer vineuse”, en anglais, “the wine-dark sea”). D’où sort cette expression ? J’avoue que, depuis que j’ai commencé, adolescent, à lire Homère, elle m’a toujours intrigué : sans doute pour cette raison, elle me paraissait “poétique”. Ceci dit, je n’arrive toujours pas à me la représenter… Le dictionnaire allemand de Pape essaie d’expliquer que ce serait une allusion à la couleur d’une mer houleuse et déferlante (des unruhigen, wellenschlagenden Meeres), mais ce n’est pas très convaincant. Peut-être, tout simplement, ne divisons-nous pas le spectre des couleurs de la même façon que les anciens Grecs ?

Et maintenant, c’est parti (2.427-429) :

ἔπρησεν δ’ ἄνεμος μέσον ἱστίον, αμφι δὲ κῦμα
στείρῃ πορφύρεον μεγάλ’ ἴαχε νηὸς ἰούσης·
ἡ δ’ ἔθεεν κατὰ κῦμα διαπρήσσουσα κέλευθον.

(Le vent gonfle la voile par le milieu et siffle fort, tandis que le vaisseau va, la vague se soulevant autour de la proue ; et, filant à travers les vagues, il trace sa route.)

On sent la libération que représente ce départ : finies les intrigues de palais, place à l’aventure !

παννυχίη μέν ῥ’ ἤ γε καὶ ἠῶ πεῖρε κέλευθον.

(Toute la nuit et encore à l’aube, il fait route, 2.434)

On pourrait même dire : “il taille la route”, si ce n’était un peu trop familier… On voit que le mot κέλευθος, route, chemin, revient dans les deux derniers vers que je cite. Homère l’utilise en effet souvent pour désigner les routes marines…

On ne sait pas quand, ni par qui, a été faite la division de l’Odyssée en chants, mais cette scène et ce vers sont une belle façon de terminer le second.

Même si le rapport est lointain, ce passage m’a rappelé — peut-être à cause du titre qui nous ramène en Grèce — le beau livre d’ethnologie de Bronislaw Malinowski, Argonauts of the Western Pacific, paru en 1922, qui décrit la croisière du kula des habitants des îles Trobriand, à l’ouest de la Nouvelle-Guinée. Là aussi, on sent l’exaltation de se lancer en canot sur la mer (qu’il est encore plus difficile d’imaginer comme “vineuse”). Le premier jour, ils s’arrêtent tôt et fêtent leur départ : enfin coupés du village !

Les compagnons de Télémaque, eux, remplissent à ras bord des cratères, κρητῆρας ἐπιστεφέας (2.431), et font des libations “aux dieux immortels et toujours existants”, ἀθανάτοισι θεοῖς αἰειγενέτῃσιν (2.432). Après quoi, ils goûtent sans doute eux-même au vin…

Première apparition de Pénélope

Le passage en question, dans la traduction de Victor Bérard dans la "Pléiade".

Le grand moment du premier chapitre de Salammbo de Flaubert est l’apparition de celle-ci, au milieu de la fête sauvage des mercenaires, descendant l’escalier du palais d’Hamilcar, suivie d’une théorie de prêtres.

Dans l’Odyssée aussi, en mode mineur, Pénélope apparaît pour la première fois au cours d’un festin (celui, quotidien, des prétendants) descendant l’escalier qui mène à ses appartements au premier étage, accompagnée de deux servantes. Le chant de l’aède, décrivant le retour des héros de la guerre de Troie, est parvenu à ses oreilles, la touchant douloureusement, elle qui attend Ulysse depuis vingt ans, et elle vient lui demander de changer de sujet.

Télémaque intervient et défend le droit de l’aéde à chanter ce qu’il veut, puis il attaque (chant I, 356-359) : “et maintenant, retourne dans ta chambre, occupe-toi de tes affaires, de ton métier à tisser et de ta quenouille, et remets tes servantes au boulot ! C’est aux hommes qu’appartient la parole, surtout à moi qui suis le chef dans cette maison”. Ceci est une traduction libre, mais elle n’exagère pas la brutalité de l’original, choquante de la part d’un si gentil garçon (qui n’est d’ailleurs pas maître dans sa maison, puisqu’elle est envahie par les prétendants…)

Cette dissonance m’a frappé, et je ne suis clairement pas le seul, puisque déjà Aristarque, qui dirigea la bibliothèque d’Alexandrie dans les premiers siècles de notre ère, les avait rejetés comme n’appartenant pas à l’original. Dans sa traduction, Victor Bérard omet aussi ces vers. Ceci est rassurant et montre que les sensibilités n’ont pas tant évolué au cours du temps.

Pénélope remonte donc dans sa chambre mais, comme le précise le poète (une fois que nous sommes revenus au texte accepté par tous) (I, 361) : “elle mit dans son cœur les paroles avisées de son fils, παιδὸς γὰρ μῦθον πεπνυμένον ἔνθετο θυμῴ.” Ces paroles m’ont aussitôt évoqué celles de Marie, dans l’évangile de Luc (2.51), à la fin de la scène où ses parents retrouvent le petit Jésus discutant avec les docteurs de la loi : “Et sa mère conservait avec soin toutes ces paroles dans son cœur, καὶ ἡ μήτηρ αὐτοῦ διετήρει πάντα τὰ ῥήματα ἐν τῇ καρδίᾳ αὐτῆς.” Je ne prétends pas qu’il y a un lien direct entre les deux passages : simplement l’expression d’une même idée. Seul change le vocabulaire (μῦθος, parole, devient ῥῆμα, θυμός, cœur, devient καρδία).

Comme les mercenaires de Flaubert, les prétendants sont restés abasourdis par la vision de cette femme qu’ils convoitent tous, comme Homère le dit sans détour : “Et tous priaient de se retrouver au lit à côté d’elle, πάντες δ’ ἠρησαντο παραὶ λεχέεσσι κλιθῆναι.” Ici encore, une correspondance se fait dans mon esprit, plus lointaine et humouristique, avec le passage de Un amour de Swann où Cottard s’écrie, à propos d’Odette de Crécy, “je préfèrerais l’avoir dans mon lit que le tonnerre !”

Le dessein de Zeus

Si, comme je l’ai déjà dit, je lis lentement le grec classique, celui de Platon, Xénophon et Hérodote, lorsque je passe à Homère, c’est mot par mot, vers par vers que je progresse. Je n’ai d’ailleurs lu en grec que le début du premier chant, me réservant pour le moment où mon niveau se sera amélioré (on peut toujours rêver…).

Dès le vers 5, une expression m’a “interpellé” : Διὸς δ’ ἐτελείετο βουλή (“Ainsi s’accomplissait la volonté de Zeus”, dans la traduction de Robert Flacelière). Quelle était cette volonté de Zeus ? Dans l’édition de la Pléiade, R. Flacelière n’a aucune note sur cette phrase. Sur le site Perseus (où on peut trouver toute la littérature grecque et latine), une note datant de 1903 dit que c’est la volonté d’apporter la défaite aux Achéens, afin de venger l’honneur d’Achille, à la demande de sa mère Thétis. Avouons que cette explication est un peu mince : il est difficile d’imaginer que Zeus, malgré tous ses défauts, ait décidé de laisser mourir tant de Grecs juste parce qu’Achille est vexé et pour faire plaisir à sa maman. Il doit y avoir autre chose.

Sur le site d’une exposition de la BNF sur Homère, j’ai trouvé l’explication suivante de l’attitude de Zeus :

C’est par la volonté de Zeus, père divin d’Hélène, qu’a lieu la guerre de Troie. À l’époque, son pouvoir n’était pas encore bien assuré. Il avait dû affronter une révolte des dieux ourdie par Héra. La guerre lui permet de les occuper en les divisant, de s’imposer en tranchant leurs querelles.

Je n’avais jamais penser à ceci, car c’est un jeu bien cruel, celui qui consiste à tuer des humains pour “occuper” les dieux. Même s’il est vrai que l’hostilité entre certains dieux est intense, ceci n’explique pas pourquoi l’expression qui m’intrigue est précédée de (vers 3) :

πολλὰς δ’ ἱϕϑίμους ψυχὰς Ἅιδι προίαψεν
ἥρωων,

c’est-à-dire : “et jeta dans l’Hadès tant d’âmes de héros” (Flacelière n’a pas traduit l’adjectif ἱϕϑίμους qui veut dire “fort, puissant” et s’applique aux âmes des héros). Le mot “héros”, ἥρωων, est rejeté au début du vers 4, ce qui le met en valeur : on est donc amené à penser que c’est à la perte des héros que tend la volonté de Zeus.

Il me semble qu’une autre épopée peut nous aider à comprendre ce qui se passe, bien qu’elle n’ait aucun rapport direct avec l’Iliade. C’est, en Inde, le fameux Mahabharata, une histoire de rivalité familiale compliquée qui se termine par la grande bataille de Kurukshetra, à côté de laquelle l’Iliade est le récit d’une bagarre dans une cour d’école. La version en deux volumes de Garnier-Flammarion est trop courte, mais bien faite.

Même s’il n’appartient à aucune des deux familles ennemies et s’il n’est pas celui dont les actions sont les plus spectaculaires, le personnage central de l’épopée est Krishna, qui est une incarnation (un avatara, ce qui veut dire : “descente”) de Vishnu. Nous sommes à la fin du troisième âge (il y en a quatre, de qualités décroissantes) et la classe des kshatriyas, des guerriers, s’est multipliée ; ils sont devenus corrompus et arrogants. La Terre ploie sous leur poids et va se plaindre aux dieux. Vishnu, habitué des incarnations (il sera aussi Rama dans le Ramayana) se dévoue pour descendre sur terre et œuvrer à leur destruction. Il y parviendra très bien, en utilisant des moyens pas toujours conformes au dharma (à l’éthique) : à la fin de la bataille il n’y a plus que douze survivants parmi les kshatriyas… (Note : on pourrait faire un très long blog autour du Mahabharata qui contient une foule d’épisodes extraordinaires, voire époustouflants).

Dans le Mahabharata, la destruction des guerriers est donc un but avoué. Il y avait d’ailleurs déjà eu une autre extermination de ceux-ci à la fin du second âge, qui avait donné naissance à cinq lacs de sang ! Comme les héros de l’Iliade, beaucoup de ces kshatriyas ont une ascendance divine, ce qui ne suffit pas à les sauver, au contraire…

Les récits qui ont donné naissance aux deux épopées semblent être à peu près contemporains (VIIIe-VIIe siècle), mais il est improbable qu’ils se soient influencés. Bien sûr, il y a d’autres histoires, en Mésopotamie et dans la Bible, où les dieux décident de se débarrasser de presque toute l’humanité par un déluge. Mais, ici, c’est la classe guerrière et héroïque qui est visée.

J’en étais là de mes réflexions lorsque, cherchant autre chose sur internet, j’ai découvert que dans le Catalogue des femmes (Γυναικῶν κατάλογος), fragmentaire et attribué, peut-être à tort, à Hésiode, on apprend que la guerre de Troie marque la fin de l’âge des héros et que Zeus avait la volonté de les détruire, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires :

Maintenant la discorde régnait parmi les dieux ; car à cette époque [après le mariage d’Hélène et Ménélas] Zeus […] méditait de hauts faits […] et déjà se hâtait de mettre en œuvre la fin de tous les mortels, déclarant qu’il détruirait la vie des demi-dieux, afin que les enfants des dieux ne s’unissent plus avec de misérables mortels […] ; mais que les dieux bienheureux, dans l’avenir, comme dans le passé, vivent et demeurent séparés des humains. Mais pour ceux qui étaient nés d’immortels et d’humains, vraiment, Zeus entassait maux sur maux.” (Note : ceci est une traduction de la version anglaise des vers II. 2-13 du Catalogue, que l’on trouve sur le Projet Gutenberg).

Comme on le voit, il est d’abord question d’une destruction de l’ensemble des mortels, mais c’est ensuite sur les enfants d’humains et d’immortels que se concentrent les noirs desseins de Zeus.

Il y a un dernier texte qui peut nous éclairer : encore plus fragmentaires, les Chants cypriens (Κύπρια), racontent les origines de la guerre de Troie. On y apprend que c’est Zeus qui l’a manigancée avec Thémis, en envoyant Éris (la Discorde) lancer une pomme d’or au cours du mariage de Pélée et Thétis, les parents d’Achille. De là viendront le jugement de Pâris, l’enlèvement d’Hélène et l’expédition des Grecs pour la récupérer. Il est précisé que Zeus veut soulager la terre du fardeau de sa population, mais sans expliquer pourquoi… et comme la guerre concerne surtout les guerriers et les héros, ce sont bien eux qui vont être les victimes de ce grand nettoyage.

Nous avons donc ici un faisceau d’indices concordants, confirmant que l’hécatombe de guerriers de la guerre de Troie résulte bien d’un dessein de Zeus, “livrant leurs corps en proie aux oiseaux et aux chiens” (αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν / οἰωνοισί τε πᾶσι).

Eschyle lui-même, dans Agamemnon, maintient l’ambiguïté. Il nous dit d’abord (vers 60-62) :

οὕτω δ’ Ἀτρέως παῖδας ὁ κρείσσων
ἐπ’ Ἀλεξάνδρῳ πέμπει ξένιος
Ζεὺς…

Ainsi Zeus, protecteur de l’hospitalité, tout-puissant, envoie les fils d’Atrée contre Alexandre…

Alexandre, c’est l’autre nom de Pâris qui, en enlevant Hélène alors qu’il était hôte de Ménélas, a bafoué les lois de l’hospitalité, chères à Zeus. Tout cela est donc logique et on peut espérer une victoire rapide des Grecs, selon la volonté de Zeus.

Suivent quelques vers où Eschyle décrit la dureté des combats à venir que Zeus “impose également aux Danaens et aux Troyens” (66-67).

[…] θήσων Δαναοῖσιν
Τρωσί θ’ ὁμοίως.

Cette chute surprend : pourquoi infliger les mêmes malheurs aux deux partis, alors que l’un est clairement du côté des lois humaines et divines ? La question du dessein de Zeus reste donc ouverte…

Mais peut-être, plus prosaïquement, ceci n’est qu’un écho poétique de la catastrophe que fut l’effondrement, au douzième siècle av. J.-C., de la civilisation de l’âge de bronze qui s’étendait de la Grèce à la Mésopotamie et à l’Égypte, et dont la chute n’était guère attribuable qu’à la vengeance d’un dieu.

Il y aurait sans doute beaucoup plus à dire, mais, pour finir, s’il est vrai que l’une des raisons du carnage est de mettre fin à la confusion entre les domaines des humains et des dieux, je ne peux m’empêcher (pour me faire plaisir) d’évoquer la dernière image du Götterdämmerung de Wagner dans la mise en scène de Patrice Chéreau : après l’auto-immolation de Brünhilde (avec son cheval, lui-même divin) sur le bûcher de Siegfried, les hommes restent seuls. Enfin seuls, pourrait-on dire…

En Grèce, un nouvel âge va commencer.

Note : l’image de haut de page montre les cinq premiers vers de l’Iliade dans le plus ancien manuscrit que l’on possède, le Venetus A. Il se trouve à Venise et date du Xe siècle. On voit à gauche le M historié de Μῆνιν qui désigne la colère d’Achille. La première ligne est écrite dans une encre de couleur (dorée ?) et le scribe semble avoir malencontreusement fait baver quelques lettres… La phrase qui est le sujet de cette page se trouve au dernier vers. Comme on l’a déjà vu, les minuscules de l’alphabet grec ont beaucoup évolué depuis 1000 ans.

Note : je viens de consulter (10.11.2021) l’édition de l’Iliade dans la collection de référence des “Belles Lettres”, à laquelle je n’avais pas accès jusqu’à présent. Paul Mazon commente ainsi le vers sur le dessein de Zeus :

L’hémistiche avait été repris par l’auteur des Chants Cypriens, mais dans un sens tout différent. À la demande de la Terre, étouffée sous le poids d’une population humaine sans cesse croissante, Zeus aurait résolu de décimer l’humanité par une série de guerres meurtrières ; ainsi serait née la guerre de Troie. Mais c’était là un thème nouveau, inconnu d’Homère ; et, ici, il s’agit évidemment de la décision que va bientôt prendre Zeus, à la prière de Th´étis, de sacrifier les Grecs aux Troyens, jusqu’à ce qu’Achille soit vengé.

L’intérêt des Chants Cypriens se trouve ainsi confirmé. Certes, il affirme que les deux desseins de Zeus n’ont aucun rapport, mais il me paraît arbitraire de prétendre qu’Hom`ère (qui qu’il fût) n’avait aucune idée de l’intention génocidaire du dieu. Aujourd’hui, les spécialistes sont d’accord pour dire que les Chants Cypriens sont postérieurs à l’Iliade et n’ont donc pas pu influencer directement “Homère”, mais ils font aussi remarquer que les thèmes des deux épopées étaient bien antérieurs à leur mise par écrit. Il est donc probable qu'”Homère” connaissait ceux des “Chants Cypriens”.

Il est, ainsi, impossible de conclure le débat.