Platon écologiste ?

© Syndicat mixte pour la gestion des cours d’eau du Trégor et du Pays de Morlaix

En bon Breton, je me souviens des inondations de Morlaix en 1974, avec deux mètres d’eau dans le centre-ville, dont les journaux avaient tant parlé. À cette époque, beaucoup, en particulier les écologistes, avaient mis en cause le remembrement qui, en détruisant le bocage, avait accélérer l’écoulement des eaux vers la ville. Après tout ce temps, ceci est toujours d’actualité puisque le rétablissement des “talus bocagers” reste un des points du plan d’action émis récemment par le Syndicat Mixte du Trégor.

Morlaix, février 1974 (Photo Ouest-France)

J’ai choisi cet exemple parce que les pluies torrentielles sont rares en Bretagne, mais j’aurais pu le trouver dans bien d’autres régions de France, en particulier dans le sud-est qui jouit du même climat méditerranéeen que la Grèce. De façon plus générale, c’est la déforestation qui est en cause. Ce que l’on peut dire, c’est que si les responsables du remembrement dans la région de Morlaix avaient lu Platon, l’inondation de 1974 aurait peut-être été moins violente.

Platon ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?

Il faut avoir lu Critias. Il y raconte le mythe de l’Atlantide dont les armées, 9000 ans avant son époque, avaient envahi l’Europe avant d’être repoussées par les vaillants Athéniens.

Aujourd’hui, les collines de l’Attique sont dénudées, ce qui était déjà le cas à l’époque de Platon, comme il le dit (111c) : “il y a des montagnes qui aujourd’hui n’ont de nourriture que pour les abeilles (τῶν γὰρ ὀρῶν ἔστιν ἃ νῦν μὲν ἔχει μελίτταις μόναις τροφήν), mais où, il n’y a pas si longtemps, ont été coupés des arbres qui ont été utilisés dans la charpente des plus grands édifices et dont les poutres sont encore saines (χρόνος δ᾽ οὐ πάμπολυς ὅτε δένδρα, ὧν αὐτόθεν εἰς οἰκοδομήσεις τὰς μεγίστας ἐρεψίμων τμηθέντων στεγάσματ᾽ ἐστὶν ἔτι σᾶ). Ici, Platon ne parle pas d’une époque fabuleuse, mais récente. Il n’est pas difficile d’imaginer que l’Attique était originellement boisée, mais que les besoins d’une grande cité comme Athènes ont entraîné une déforestation accélérée.

Mais ce n’est pas tout : il ajoute que maintenant l’eau de pluie ( “l’eau de Zeus”, ὕδωρ Διός) s’écoule directement dans la mer, ruisselant sur la terre nue (ἀπὸ ψιλῆς τῆς γῆς), alors qu’auparavant elle était mise en réserve sous une couverture de terre argileuse. Cette eau alimentait des ruisseaux et des sources en abondance (ἄφθονα κρηνῶν καὶ ποταμῶν νάματα), comme le prouve les sanctuaires construits sur ce qui était jadis des sources (ἐπὶ ταῖς πηγαῖς πρότερον οὔσαις ἱερὰ).

Ainsi l’absence de couvert végétal mène à un ruissellement excessif et au tarissement des sources : nous en sommes aujourd’hui bien conscients — même si certains s’en foutent — et Platon le décrit parfaitement.

La question subsidiaire est : d’où Platon tirait-il cette connaissance ? D’observations personnelles ? Sans doute plutôt de discussions avec des vieux qui lui disaient : “de mon temps…”, ou avec des propriétaires terriens, comme les interlocuteurs de Socrate dans “L’Économique” de Xénophon. Quoi qu’il en soit, cela “m’épate” de retrouver dans un coin d’un texte de Platon des considérations toujours d’actualité sur l’influence du couvert végétal sur l’écologie et l’hydrologie d’une région (à une époque où la déforestation de l’Amazonie se poursuit à grands pas).

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